Les cris du jour ou l'écrit du jour ? C'est peut-être le texte de la semaine (et pourquoi pas de l'année ?!!!!)
directement sorti de mon inspiration poétique, où chacun est libre de traverser la frontière entre fiction et réalité...
Bonnes lectures !

mardi 18 novembre 2014

C'est bien...

C'est bien quand la sonnerie retentit, on a les converses qui frétillent et l'anorak qui quitte le dossier de la chaise pour se jeter sur les épaules. On bouscule à grands coups de cartables ceux qui bouchent la sortie, on dit à peine "à d'main" et on part, libre, sifflotant "les mystères de l'ouest" avec son meilleur copain. On est bête et on s'en fiche. Tout ce qui compte c'est qu'on a douze ans et que la vie ne sera jamais mieux que maintenant. On se raconte les potains de la journée : "T'as vu l'autre, là, elle se prend pour un shérif ou quoi ?", "Et lui, on dirait un croque-mort" ! Et on se marre en se claquant les côtes sans se soucier d'être sérieux ou tolérant.
C'est bien quand on arrive à la maison parce qu'on sait qu'on va pouvoir jeter le cartable, avaler une grosse tartine en inventant de nouveaux verbes irréguliers. Et quand la trigo est terminée, on enfouit les cahiers au fond du sac en espérant qu'aucun prospecteur ne viendra les dénicher et on enfourche les vélos, visages fendant un vent de liberté. Et on parcourt les grandes plaines au galop, grisé par ces étendues farouches, aspiré par l'horizon, lointain, là où le soleil se couche.

Texte produit lors d'un atelier d'écriture animé par Monique Domergue à la Médiathèque de Bourg les Valence, inspiré par "C'est bien" de Philippe Delerme.

dimanche 16 novembre 2014

Sans papiers


Cent pas

Cent pas

Cent pas

T’entend papa   
Cent pas
T’entend papy
Cent cris
Toutes ces vies
Sans papiers
Milles vies
Sans voix
Sans issue

Papa
Tu sens ce sang   
Sous mes pas
Papy
Tu sens tout ce sang
Sous mes pieds
Ils sont cent
Sous les eaux
Nous sommes mille
Engloutis
Sans papiers je me noie
Sans papiers j’ai peur
Sans papiers je ne vivrai pas vieux
Je pourrai voyager sur un essieu
Partager des miettes de dignité dans une cage
Crever sur un train d’atterrissage

Rassure-toi papa
Je est un autre
Je suis blanc
Rassure-toi papy
Je ne finirai pas dans un hôtel calciné
Je ne finirai pas dans la rue prostitué

T’en fais pas papa
Je sors rarement sans papiers
Je suis français
Je jouis d’une devise en trois mots
Le premier liberté m’ouvre les portes du monde
T’en fais pas papy
Je jouis d’une autre devise plus forte encore
L’euro mon véritable passeport

Mes pas et mes pieds me portent dans le monde entier
Mais chaque fois l’inégalité me crache à la gueule
Alors la fraternité m’offre son réconfort

Bien sûr papa
Tous les sans papiers ne souffrent pas du même sort
Bien sûr papy
Certains vivent heureux bien heureux encore
Mais tant qu’il y aura des frontières
Tant que l’argent vaudra plus que la vie
D’autres que moi n’auront pas la chance qui me sourit
Et moi moi moi je finirai peut-être poète
Une plume en guise de fusil
Mais à quoi bon si ma colère reste muette
Je me demanderai toujours à quoi riment tous ces crimes
Et la honte continuera de consumer mes racines

Conclusion papa
Ne coupons plus les arbres
Conclusion papy
Ne fabriquons plus de papier
Finis les contrats juteux
Libérons nos pas
Libérons nos pieds
Déchirons nos papiers
En avant marche mais plus au pas
Ne jouons plus de rôle
Libérons notre parole
Accueillons le mot à la bouche
Offrons-le de bouches à oreilles
De bouches à bouches
Embrassons-nous
Étreignons-nous
Embrassez-vous
Étreignez-vous
Embrassons-nous
Étreignons-nous
Embrassons-nous
Étreignons-nous


Texte produit pour la soirée Slam du 15 novembre 2014
au resto « le mot à la bouche » de Valence, thème proposé : « les sans papiers »
J'ai eu la chance de préparer la présentation de ce texte avec mon ami Olivier Hummel,

grâce à qui j'ai trouvé le ton juste pour le délcamer. Merci !


mardi 11 novembre 2014

Lettre à la femme d’à côté

Extérieur nuit
Fenêtre entrebâillée
Voilages gonflés d’une brise légère
Je vous devine
Chaque soir
Je passe
Je repasse
Hypnotisé par votre silhouette féline
Attisé par le parfum de nos souvenirs à venir

Vous lisez ce soir
Lovée dans le moelleux de votre fauteuil
Près de vous sous la lampe la fumée d’une tasse
Caresse délicatement vos cheveux
Vous ne me voyez pas
Non
Vous ne m’avez jamais remarqué sans doute
Pas même lorsque je vous croise le jour
Le soir l’ombre du marronnier m’offre le camouflage idéal
Mes yeux pourraient-ils supporter image plus fascinante

Je me noie dans votre contemplation
Comment me lasser de vos longues poses
Accoudée au canapé
Fines jambes savamment repliées
Crinière en arrière dégageant votre oreille pour mieux poser le combiné
Si c’était moi au bout du fil
Je vous dirais combien vous me plaisez
M’écouteriez-vous seulement
Qui est-ce d’ailleurs
Votre amant
Votre mari
Oui je suis jaloux
Vous me délaissez
Et pourtant

Personne ne compte autant pour moi
Oserais-je un jour

Si vous lisiez cette lettre
Mais vous ne la lirez pas
Je ne l’écrirai pas
Je ne vous l’adresserai pas
Je garderai tout pour moi
Je vous garderai pour moi
Rien ne nous séparera

Par la fenêtre
Votre regard se pose sur moi
Pour la première fois vous me voyez
Intriguée
Me reconnaissez-vous
Je suis pétrifié

Vous m’interrogez
Je bafouille
Je vous aime
Vous riez
Nous rions
Vous fermez les volets

Extérieur jour
Goudron fumant
Vous êtes une lionne
Je suis un zèbre
Vous m’avez reconnu
Je m’apprête à fuir
Le rythme de vos talons me poursuit
Un éclair fouette l’air
Le tonnerre rugit
Vous me rattrapez
Dans la pénombre d’une ruelle nous nous étreignons

Tes doigts fins glissent sous ma chemise
Je frissonne
Tu m’embrasses
Tes lèvres chuchotent dans mon cou
Tu es beau de près
Nous nous aimons sous la pluie
Pavé mouillé
Si on rentrait
Nous courons sous ma veste
Ton sourire m’éblouit

Intérieur jour
Lumière pluvieuse
Thé ou café
Nous nous aimons encore

Intérieur nuit
Allongés sous la lune
Ta jambe pliée sur ma cuisse
Tu signes nonchalamment mon torse du bout de l’ongle
Tu es la femme de ma vie
Tu es mon amant pour toujours
Je te garderai pour moi
Rien ne nous séparera
Mon amour

Nos deux corps gisent
Oreillers écarlates
Draps de soie claire
Deux roses passionnées
Sur un écrin de vair



Texte proposé au concours « Lettre à la Femme d’à côté »
organisé par la Cinémathèque française en partenariat avec Télérama

dans le cadre de la rétrospective François Truffaut. Bravo aux lauréats !